Eglises d'Asie

L’Eglise catholique lance une campagne pour des élections « propres » en 2016

Publié le 13/05/2015




En prévision des élections de l’an prochain, l’Eglise catholique lance une campagne intitulée « Huwag kang magnakaw ! » (‘Tu ne voleras pas !’ en tagalog) afin de décourager des pratiques pourtant bien ancrées dans la vie politique locale, à savoir l’achat – et la vente – de voix.

Le 8 mai dernier, à Manille, lors de la conférence de presse de présentation de la campagne, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille et président du Comité pour les Affaires publiques de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, s’est adressé à l’ensemble de ses compatriotes. « Vendre son bulletin de vote ne signifie pas seulement vendre sa dignité en tant que personne ; cela signifie aussi mettre à l’encan la dignité de la nation tout entière », a-t-il affirmé, expliquant que ceux qui se risquent à vendre leur voix « poussent les politiciens à voler pour ‘se rembourser’ des fonds qu’ils ont mobilisés afin d’acheter ces voix ». Le prélat a aussi précisé que la campagne visait également le personnel politique pour l’engager à ne pas chercher à acheter les suffrages des électeurs et à usurper ainsi le pouvoir démocratique des citoyens.

Afin de couper court à toute interprétation politicienne de l’initiative des évêques, le P. Anton Pascual, président de la radio catholique Radyo Veritas et personnalité engagée de longue date dans le combat pour des élections ‘propres’, a ajouté que la campagne lancée par l’Eglise se voulait « prophétique et non partisane » et ne visait qu’à combattre « la corruption, la malhonnêteté et la fraude en politique et dans la société ». Elle sera portée tout au long de l’année par les paroisses catholiques ainsi que par les congrégations religieuses actives sur le terrain.

L’initiative de l’Eglise intervient un an tout juste avant les élections qui sont prévues pour le lundi 9 mai 2016. A cette date, les Philippins éliront non seulement leur président (l’actuel tenant du poste, Benigno Aquino, ne pouvant se représenter), et leur vice-président (l’actuel titulaire, Jejomar Binay, devant a priori se présenter à la présidence), mais aussi la moitié des 24 sénateurs, la totalité des élus de la Chambre des représentants ainsi que près de 18 000 élus locaux. Ce sera la troisième fois, après le scrutin de mai 2010 et les élections de mi-mandat de 2013, que les opérations électorales se dérouleront de manière électronique, l’ensemble des bureaux de vote étant équipés de « machines à voter ». Dans un pays où l’achat de voix est une réalité (lors de son élection en 2004, Gloria Macapagal-Arroyo avait été accusée, enregistrement à l’appui, d’avoir acheté au directeur de la Comelec, la commission électorale, un million de suffrages), ces machines étaient sensées faire disparaître les risques de fraude. En réalité, les deux derniers scrutins ont montré qu’il n’en était rien.

Henrietta de Villa préside le PPCRV (Parish Pastoral Council for Responsible Voting), une organisation fondée en 1991 à l’initiative des évêques philippins afin de mobiliser les catholiques dans la lutte contre la fraude électorale. Selon elle, la modernisation des opérations de vote, notamment l’introduction du vote électronique, n’a pas fait reculer la fraude, au contraire ; celle-ci s’avère « plus importante et osée » qu’auparavant. Aux méthodes traditionnelles, telles que la distribution d’argent, de riz, de nourriture, de téléphones portables, voire même de bourses d’études, s’ajoutent la création de « bureaux de vote fantômes » et le gonflement des listes électorales, sans compter l’intimidation directe ; lors des élections de mi-mandat de 2013, sept personnes avaient été tuées le jour du scrutin et une soixantaine d’autres avaient trouvé la mort durant la campagne électorale.

Ce n’est pas la première fois que l’Eglise catholique se lance dans une opération de sensibilisation citoyenne à l’approche d’une importante échéance électorale. Cette fois-ci, a toutefois insisté Henrietta de Villa, l’action que le PPCRV a lancée le 16 avril dernier sous le nom « One Good Vote » se veut « spécialisée, menée par le peuple et fondée sur les communautés locales ». Elle vise notamment les villageois, la jeunesse surtout, car ce sont eux « qui sont les victimes les plus directes des mauvaises habitudes électorales ». Dans chaque province, le PPCRV sélectionnera un village-pilote où les électeurs seront incités à évaluer les candidats en présence en fonction « de leur caractère, de leurs talents et de leur honnêteté ».

Lors de la présentation de la campagne du PPCRV, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, a lancé un appel au personnel politique, enjoignant chacun et chacune à « ne pas chercher à abuser des pauvres et de leurs souffrances ». « C’est bafouer leur dignité que de chercher à manipuler les pauvres en capitalisant sur le fait qu’ils sont dans le besoin », a-t-il dénoncé.

(eda/ra)